Accouchement et traumatisme

Il m’a fallu des années pour prendre conscience du traumatisme qu’avait été mon premier accouchement.

Au travers de mon histoire, j’ai découvert que l’on peut être traumatisé.e… sans le savoir !

Marquée dans le corps

C’est d’abord mon corps qui s’est manifesté, par des maux de dos inexplicables et incurables, un épuisement physique et nerveux, ainsi qu’un état d’hyper-vigilance impossible à désactiver. Et cela a duré plus d’une dizaine d’années…

Marquée psychologiquement

Ensuite, je me suis rendue compte que ma relation à mes enfants était tout sauf sereine. J’avais tout le temps peur pour eux, qu’il leur arrive quelque chose de terrible, un accident, une chute, un étouffement ou que sais-je. Je vivais sans m’en rendre compte dans un état de stress et d’anxiété permanent, sans jamais pouvoir baisser la garde. Je n’étais tranquille que lorsque mes enfants étaient auprès de moi, en train de dormir paisiblement dans leur lit respectif.

Un accouchement traumatisant

Tout ça à cause de mon premier accouchement. J’ai fait une pré-éclampsie à 32 semaines de grossesse. Sans l’intervention de mon obstétricien et de l’équipe de gynécologie et d’obstétrique des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), ma fille et moi n’aurions pas survécu.
Je me souviens du moment où – couchée dans un lit d’hôpital – le chef de service était en train de m’expliquer que nous allions essayer de gagner quelques jours, ou quelques heures, avant d’effectuer la césarienne. Tout à coup, j’ai senti quelque chose couler entre mes jambes et j’ai soulevé le drap : une mare de sang.

Tout s’est enchaîné très vite : on m’explique que le placenta s’est décollé et que la césarienne c’est pour tout de suite. Maintenant. Pose de la sonde urinaire et péridurale. Dans cet ordre. Maintenant Madame. J’éclate de rire! Tout cela me semble irréel, absurde. Je suis envahie par un tel sentiment d’impuissance que je ris. Mon mari est à mes côtés, blême. Je dis à l’équipe que ce n’est pas possible de sortir le bébé maintenant car il n’est pas terminé… 32 semaines – 7 mois – encore deux mois entiers avant le terme. On m’explique qu’il n’y a aucune alternative. Si l’on ne fait pas cette césarienne tout de suite, ma fille et moi allons mourir. Je me souviens avoir plaisanté avec l’équipe en salle d’opération.

Naissance

Ma puce est née : 1.650 kg de grâce et de délicatesse. On me la montre par-dessus le drap vert qui cache la zone de guerre : elle est magnifique et drôlement en pétard ! Rouge de colère. Puis, on l’emporte illico en néonatologie. Nous ne nous retrouverons que 3 jours plus tard, parce que je suis recluse au service des soins intensifs et qu’elle était à l’autre bout de l’hôpital, en néonat. Finalement, c’est elle qui sera transportable la première et qui fera sa première balade en couveuse à travers l’hôpital, pour venir voir sa maman qui l’attend de chaque fibre de son être. Retrouvailles.

Complications

Ces retrouvailles ont bien failli ne jamais avoir lieu, car le lendemain de l’accouchement, j’ai fait une complication de la pré-éclampsie, opportunément dénommée « HELLP syndrome ». Un truc qui n’arrive pas souvent et qui – quand il arrive – est vraiment méchant. Je passe une nuit entre la vie et la mort. Je me souviens m’être battue comme une lionne pour rester en vie, car il m’était insoutenable de partir sans même avoir jamais tenu ma fille dans mes bras ! Hors de question ! Je me suis accrochée à la vie de toutes mes forces. Pour ma fille et mon mari, pour notre famille. Au petit matin, je me suis réveillée vivante. J’ai compris en voyant l’horloge au mur que j’étais en vie, que j’avais gagné ! A ce moment-là, je n’avais évidemment aucune idée de tous les défis qui découleraient de ces événements.

Retour à la maison

Lorsque ma fille a atteint le poids de 2.00 kg, l’hôpital nous a renvoyées à la maison. J’étais dans un état de grande faiblesse physique. Plusieurs de mes organes vitaux avaient été sérieusement endommagés et rien ne m’avait préparée à tout cela, en particulier à m’occuper d’un bébé prématuré qui avait à peine la force de téter, alors que j’avais moi-même à peine la force de tenir sur mes jambes. Sans l’amour, le dévouement et le soutien de mon mari, j’aurais coulé à pic. Mais je ne m’en suis pas rendue compte. Parce que je ne voyais qu’une seule chose : nous sommes en vie ! C’est tout ce qui comptait. C’est comme si cette réalité-là occultait tout le reste. La terreur de perdre ma fille et de mourir en la laissant derrière moi, la souffrance, l’épuisement, le traumatisme. Et le terrible sentiment d’impuissance.

Impuissance

En principe, l’accouchement est un événement « empowering » pour la femme. Elle met un enfant au monde. Elle pousse, elle crie, elle halète, elle souffre, elle pousse encore, elle hurle parfois, elle s’accroche et elle finit par expulser son enfant : elle le met au monde. Elle est active, elle est puissante, elle est actrice de son accouchement. Dans mon cas, je me suis trouvée dans un état d’impuissance totale. On m’a prise en charge, on m’a découpée et on a sorti le bébé, puis on m’a refermée. Aucun reproche dans ce constat. Simplement, ce sentiment profond d’impuissance a laissé des traces dans mon corps et dans mon psychisme. De même que la peur extrême de perdre mon enfant ou de mourir en le laissant derrière moi.

Refoulement

Aucun suivi psychologique ne m’a été proposé ni conseillé au sortir de l’hôpital. Et je n’ai pas pensé un seul instant que j’en avais besoin. J’étais en vie et mon bébé aussi ! Que pouvait-on demander de plus ? A partir de là, tout le reste était du bonus. Il m’a fallu des années pour comprendre que je ne m’étais pas remise de ces événements, qu’ils avaient profondément marqué mon psychisme et mon corps. Le stress extrême, la terreur, toutes les émotions générées par ces événements, étaient restées bloquées, inscrites dans mon corps.

C’est d’ailleurs mon corps qui m’a indiqué le chemin de la guérison, de la résilience. En me faisant sentir que quelque chose faisait mal, une douleur lancinante et omniprésente. Il y avait quelque chose à rechercher, à comprendre, à retrouver, à soigner, à guérir. Un traumatisme. Je ne le voyais pas. C’était un gros éléphant rose au milieu de la pièce et je ne le voyais pas. Pendant de nombreuses années. Or, nos traumatismes ont des échos. Quelques années après la naissance de ma fille, je ferai une fausse couche. Puis, l’année suivante, j’accoucherai de mon fils avec une nouvelle césarienne d’urgence. L’histoire se répète, en moins violent toutefois. A ce moment-là, je ne comprends toujours pas. Je ne vois toujours pas l’éléphant au milieu de la pièce. Encore une fois, la mère et l’enfant ont survécu. Tout va bien, circulez, il n’y a rien à voir.

Conditionnement social

Comment ce traumatisme a-t-il pu passer inaperçu ? Parce que j’étais – comme des milliers de femmes – conditionnée par les valeurs de notre société judéo-chrétienne, ainsi que par mon éducation. Conditionnée à être courageuse, à aller de l’avant, à ne pas trop m’écouter, à être forte, à mettre le bien d’autrui en priorité, à être performante, à reprendre le travail au plus vite, à avancer, à me dépêcher d’être opérationnelle, à gérer, à assurer, à être une bonne mère, à reprendre le dessus, à passer par-dessus (« get over it ! »), à prendre sur moi, etc.

Processus de guérison

Il m’a fallu plusieurs années de travail sur moi pour découvrir la racine de mes maux physiques, pour comprendre les relations de cause à effet, pour reconnaître et accueillir ce que j'avais vécu et les émotions associées, pour revisiter et libérer avec amour les mémoires réactivées par ces événements, pour me dégager des liens transgénérationnels qui m'enserraient, afin de retrouver suffisamment de sérénité, de paix et de confiance pour cheminer avec le sourire.

Dans les histoires des humains, les fils de la vie et de la mort se tissent et s’entrelacent… D’ailleurs, accoucher c’est donner la vie, mais aussi la mort, puisque cet enfant qui arrive mourra un jour. Nous sommes tous confrontés à l’impermanence, au deuil, à la maladie physique ou psychique, de manière plus ou moins violente. Il faut du temps et de la persévérance pour dénouer les noeuds de souffrance - conscients ou inconscients - qui nous empêchent de nous épanouir. Pour pouvoir enfin passer de la survie à la Vie!

Avec amour,

Corinne

N.B. Si le travail sur les liens transgénérationnels vous intéresse et/ou que vous avez vécu un traumatisme dont vous souffrez encore, je vous reçois volontiers en consultation.